Depuis quelques jours, April vivait chez Jackson. Et Jackson aurait pu être le plus heureux des hommes, si April était arrivée ici sous de meilleures conditions. Elle avait débarqué chez lui avec des sacs et la mâchoire en vrac, plus paniquée qu’elle ne voulait bien l’admettre. Jax avait dû la traîner de force à l’hôpital pour qu’elle se fasse soigner, et là encore, il surveillait qu’elle prenait bien son traitement comme il fallait. Il savait qu’elle ne lui avait pas expliqué toute l’histoire, seulement les grandes lignes, et qu’il n’allait pas lui tirer les vers du nez de sitôt. Mais bon, il était quand même heureux qu’elle soit venue se réfugier chez lui, au moins, il pouvait s’occuper d’elle et faire en sorte qu’elle soit en sécurité.

Pendant qu’April se réfugiait dans le travail, une manie que Jackson avait très, très vite repérée chez elle, lui ne savait pas vraiment quoi faire. Quand il manquait d’inspiration, souvent, il sortait faire un tour, pour prendre quelques photos au hasard, mais il ne se voyait pas laisser April seule, surtout après ce qui lui était arrivé. Il l’aurait bien prise en photo elle, mais il ne pensait pas qu’elle était du genre à apprécier de faire le modèle photo. Souvent, quand il s’ennuyait comme cela, il commençait à embêter le monde. Mais là, April avait surtout besoin de calme. Alors, il avait sorti ses anciens albums photos, avec ses anciens travaux. Il aimait bien observer les photos qu’il avait prises auparavant, ça l’aider à trouver de l’inspiration. Son grand-père lui disait souvent qu’il fallait savoir d’où on venait, pour voir où l’on allait. Jackson avait fait en sorte de l’enregistrer.

D’un seul coup, alors qu’il était plongé dans ses souvenirs d’une vie lointaine, April se leva d’un coup de sa chaise pour fouiller dans la commode qu’ils partageaient pour ranger leurs vêtements. Jackson haussa un sourcil, étonné de l’attitude de la journaliste. Qu’est-ce qu’il lui prenait ? Elle n’allait quand même pas sortir à cette heure-ci ? Son comportement était vraiment étrange. Avant que Jax ne puisse lui dire quoi que ce soit, April fonça vers la salle de bain, en lui disant de mettre son plus beau costume. Intrigué, mais n’ayant pas le temps d’objecter, il alla donc se changer et enfila un costume gris anthracite, celui qu’il mettait quand il avait un vernissage. Lorsqu’April sortit de la salle de bain, Jackson fut époustouflé. C’était la première fois qu’il la voyait en robe. Elle était magnifique.

Avant de partir, il prit les masques de carnaval qu’April lui avait demandé. Il avait une caisse avec quelques accessoires, quand il faisait, mais c’était rare des shootings privés, et il lui était arrivé dans faire sur le thème de Venise, à la demande d’un client. Les masques avaient pris la poussière, mais ils n’étaient pas encore trop abîmés. Puis, les deux journalistes partirent. C’est sur le chemin qu’April lui expliqua ce qui allait se passer ce soir-là. Jackson en eut la nausée. A l’époque où il partait en mission en zone de guerre, il avait entendu parler de trafic d’êtres humains, que certaines personnes mal intentionnées profitaient de la guerre pour se remplir les poches en abusant des plus faibles. Naïvement, il avait cru que ça n’arriverait jamais ici.

La vente avait lieu dans un des endroits les plus luxueux de la ville, forcément. Jackson avait caché sur lui un tout petit appareil photo : une petite merveille qui lui avait coûté une fortune, mais avec laquelle il pouvait prendre des photos sans se faire repérer. Tout auteur d’eux, les gens portaient des robes et des costumes sublimes, qui devaient valoir au moins le prix de son appartement. Il se sentait mal à l’aise. Tant de luxe pour un évènement aussi sordide… Et dire qu’il avait trouvé « Eyes Wide Shut » glauque comme film. Alors qu’il allait prendre un verre de champagne, April l’attira contre elle pour le mettre en garde… Et pour lui parler d’un couple qu’elle avait l’air d’avoir reconnu. Discrètement, Jackson les regarda, et plissa les yeux. L’homme lui disait vaguement quelque chose.

« Tu les connais ? »

April resta quand même assez vague sur sa réponse, causant plus d’interrogations à Jackson qu’autre chose. De quoi voulait-elle parler ? Il les connaissait aussi ? Pourtant, à voir comme ça, ils ne lui disaient rien, et il avait un bon sens de l’observation, quand même. Enfin… Il faisait confiance à April quoi qu’il arrive, donc si elle lui disait que ces gens étaient des alliés, c’est qu’ils en étaient. Il ne voyait pas vraiment pourquoi April lui aurait dit ça dans le vent, surtout vu la délicatesse de l’affaire sur laquelle ils s’étaient lancés. Il savait qu’il pouvait la suivre aveuglément sur ce coup.

Soudain, April attrapa le bras du photographe pour lui donner une sorte de petite mission. Elle lui montra du doigt une femme à la robe tout simplement magnifique. Jackson n’était pas photographe de mode, mais il en connaissait plusieurs, et assez pour reconnaître un beau vêtement de luxe quand il en voyait un. Ce n’était pas n’importe qui qui pouvait s’offrir une telle robe. Il écouta ce qu’April lui disait. Ce n’était pas tellement compliqué comme tâche, s’il s’en sortait bien, il serait même capable de lui faire cracher son numéro de carte bleue. Et dire qu’il n’arrivait jamais à faire parler April…

« Je m’en occupe, fait attention à toi ! »

Il s’approcha donc de la femme à la robe luxueuse, qui s’approchait de la scène alors que le présentateur commençait son spectacle. Jackson n’avait pas vraiment envie de se concentrer sur ce qui allait se passer sur scène. Il n’allait pas non plus fermer l’œil sur toute la chose, mais il se savait un peu trop sensible pour rester stoïque. Autant reporter son attention sur autre chose. Prenant son air le plus aimable possible, il tapota sur l’épaule de la femme. Et laissa la magie opérer.

« Excusez-moi, bonsoir, bonsoir ! Désolé de vous déranger comme ça, vraiment, mais j’ai vu votre robe et oh mon dieu, elle est vraiment magnifique ! Laissez-moi deviner… Elie Saab ? Non, Oscar De La Renta ! »

Fut une époque, quand Jackson étudiait la photographie, il avait fait de nombreuses soirées avec des futurs photographes de mode et des étudiants en stylisme. Si ce n’était pas vraiment son monde, il avait quelques connaissances. Savoir placer un ou deux noms était primordial, et sa victime avait mordu à l’hameçon.

« Vous avez l’œil ! C’est une pièce unique de la dernière collection. Un vrai petit bijou. »

« Dans mon métier, c’est important. Je suis photographe, voyez-vous, et une telle robe… Mais qu’est-ce que je ne ferais pas pour la photographier ! Surtout quand elle est aussi bien portée ! »

Est-ce qu’il en faisait des caisses ? Clairement, oui, c’était un sketch à ce niveau-là. Mais bon, son interlocutrice était pendue à ses lèvres.

« Il faut que je vous engage alors ! Je ne savais même pas que mon mari avait invité un photographe à cette soirée, s’il me l’avait dit seulement ! Mais bon, je suis bien contente que vous soyez venu me trouver… »

Ah, voilà la première information qui lui serait utile. April avait visé plus que juste en envoyant Jackson user de ses charmes sur cette femme. Et, vu comme elle était partie, il suffisait de la pousser dans la bonne direction pour que les informations continuent de pleuvoir. Jackson saisit une coupe de champagne sur le plateau d’un serveur et la tendit à son interlocutrice.

« Votre mari, vous avez dit ? C’est lui qui a organisé cette merveilleuse soirée ? »

Merveilleuse était un bien grand mot.

« Oui, enfin, il n’était pas tout seul, lui était surtout en charge des invitations, une grosse soirée comme ça, il faut une personne à chaque poste. Enfin, vous devez savoir ce que c’est, non ? »

« Oui, oui, naturellement. Oh, tant que j’y suis, si je pouvais avoir votre nom et votre numéro de téléphone, pour vous contacter pour la séance photo, une fois que j’aurais consulté mon agenda… »

Jackson dégaina son portable et ouvrit une page de note. Il avait fait de l’excellent travail, April allait être fière de lui.

« Notez bien, c’est Mme Hopkin, et mon numéro c’est… »

Jackson s’empressa de noter ses coordonnées. Avant qu’il ne puisse prendre congé de sa nouvelle amie, il entendit la voix d’April retentir dans la salle. Il n’avait absolument pas suivi ce qu’il s’était passé sur scène, mais là, ils étaient dans une belle merde… Il entendit les gens murmurer autour de lui, et quelqu’un appela le service de sécurité. En deux secondes, la journaliste avait disparu de son champ de vision. Et merde ! Il fallait vite qu’il la retrouve et qu’ils arrivent à sortir d’ici en un seul morceau. Il faisait sombre, ça n’aidait pas Jackson… Et il ne pouvait pas l’appeler non plus. Jackson fut soudain pris de panique. Et si pour la punir, ils allaient la vendre, elle aussi ? Il en était hors de question, plutôt mourir que de laisser quelque chose de la sorte arriver à April. Alors que le service de sécurité scrutait la salle, Jackson commença à chercher de son côté. Elle n’avait pas pu aller bien loin…