Quelques jours étaient passé depuis l’attaque face au skinhead, Alexa était remise sur pied après un jour et elle se trouvait dans le tribunal avec d’autres anarchistes. Elle faisait de la distribution de nourriture aux victimes du gant noir. Cela durait plusieurs heures, elle commence à être un peu fatiguée, mais un de ces amis anarchistes vient la voir, il veut montrer quelque chose à Alexa. La superheroine le suit et se retrouve dans un coin un peu isolé du tribunal où se trouvent déjà trois autres anarchiste qu’Alexa connaît aussi.

Regarde ce que j’ai trouvé.

Un des anarchistes sort une bouteille de Whiskey d’une marque qui doit être assez luxueuse vu qu'Alexa n’en a jamais vu dans des rayons de supermarché. L’anarchiste l’ouvre et fait tourner la bouteille à ses amis et à Alexa qui boit une petite gorgée. Après avoir discuté pendant plusieurs minutes avec ses amis, elle voit Aliénor avec son masque dans le tribunal.

Attendez là je reviens…

Alexa s’approche vers Aliénor et la salue.

Tigre, comme ça va ? Tu t’es bien remise de la dernière fois ?

Aliénor avait eu du mal à revenir. En fait, non, c’était plus radical : Aliénor avait eu du mal à ressortir de chez elle. Suite à son évanouissement, un médecin acquis à la cause, qui exerçait son art et ses soins sur le camp, l’avait succinctement examinée, mais entre le masque qu’elle refusait d’enlever, les questions auxquelles elle refusait de répondre et les contacts physiques, que même strictement médicaux elle refusait radicalement d’accepter, on ne pouvait dire que l’examen avait été des plus poussés.

Elle s’était enfui dès qu’elle avait pu, ne supportant pas que l’on pose sur son corps un regard scrutateur, fusse t’il bienveillant. Si c’était le prix à payer, elle se passerait de prendre soin de sa santé. Elle avait passé des jours douloureux, pourtant, mais plus grave, brumeux. Que les blessures du combat la brûlent, ce n’était pas bien grave et même plutôt normal. Mais c’étaient les migraines, le goût âcre et métallique du sang dans sa bouche et son nez qui l’avaient plus inquiétées. Il n’était pas besoin d’être fort versé dans la science médicale pour s’inquiéter de ce genre de conséquences à un coup violent sur la tête, puisque c’était à celui-là seul qu’Aliénor dans son ignorance, attribuait encore son état. Que la fatigue et l’état comateux qui pendant les heures qui suivirent l’avaient plusieurs fois rattrapée lui rappellent un peu les pilules abrutissantes de l’asile ne l’avaient pas rassurée.

Mais ce n’était pas cela, bien sûr, qui l’avait retenue prisonnière des murs de sa chambre et de la prison de sa peur. Les évènements tournaient en boucle dans sa tête, ceux qui auraient pu se produire surtout. Etait-il nécessaire n’en prononcer le nom ? Etait-ce possible seulement ? C’aurait été au-dessus de ses forces, qu’importe à quel point elle se haïssait de craindre jusqu’à des mots et des reflets dans une quête aussi amèrement désespérée que de fuir son ombre. Mais elle avait trop profondément gravé dans sa chair l’idée de qui aurait pu leur arriver pour pouvoir l’ignorer, et elle était des jours entiers, restée tapis dans son abri, aux abois, trop anxieuse, trop terrifiée pour se soucier de ce que toutes les formes de sa santé lui réclamaient de prendre l’air et de ce qu’elle n’avait chez elle plus rien à manger.

Ce n’étaient même pas ces préoccupations qui l’avaient poussées à reprendre le masque, les armes contre les fachos et la société capitaliste et le chemin du camp anarchiste. Dans l’exaltation du combat, dans la fierté d’avoir pu aider, d’avoir protégé une camarde du sort terrible qu’elle elle avait connu, elle avait vu s’affirmer la certitude d’avoir trouvé la voie de son engagement et l’exutoire de ses souffrances. Cela ne les ferait pas disparaître, elle s’exposerait plutôt à de nouvelles douleurs et de nouveaux dangers, mais tout du moins, tout son mal ne serait pas vain. Elle l’espérait, tout du moins, mais incertaine de pouvoir s’accorder le salut d’espérer.

C’est dans cette ambiguïté et ce trouble qu’elle avait autant espéré que craint de retrouver sa camarade de combat. Et cette même ambiguïté, entre gêne et soulagement, entre reflet de l’espoir et ombre de la peur qui se laissa entendre, lorsqu’après un sursaut de surprise, à la question de l’anarchiste blonde elle répondit, avec une sincérité qui elle-même la surprit :
.

«  Je n’en suis pas sûre, mais je pense que je vais y arriver, au moins arriver à continuer. Et toi ? Comment est-ce que tu vas ? »

Alexa écoute les paroles d’Aliénor et vient la prendre dans ses bras.

Si tu es encore là, c’est que tu as déjà fait la plus grande partie du chemin.

Elle lui sourit l’air un peu désolé, les skinheads en question avaient déjà la haine contre Alexa est avec une autre personne la mission d’Aliénor aurait aussi pu mieux se passer.

Ça va...Ça va. Passez moi un verre.

Alexa retourne vers le groupe et se fait servir un verre whiskey et elle retourne vers Aliénor et l’emmène dans un coin un peu plus isoler.

Tu veux une goutte, on partage ?

Elle boit une petite gorgée, elle n'avait pas bu depuis plusieurs mois depuis l’attaque du gant noir et elle à l’impression que le goût de l’alcool la calme directement.

Tu sais ces skinheads, ils sont venus chez moi m’attaquer. Je vais pas rentrer dans les détails de ce qu’ils m’ont fait, mais ce soir-là Anarky m’a sauvé, et c’est comme ça que je suis entré dans le mouvement anarchiste. Cette attaque, c’est un peu de ma faute, ils m’ont reconnu.

Elle sourit à Aliénor et vient prendre sa main.

Ce soir-là, tu as été mon Anarky, tu m’as sauvé, tu aurais pu aller juste chercher de l’aide, mais dieu sait ce que j’aurais subi. Tu t’es sacrifié pour moi et je te remercierais jamais assez. Je sais que tu es nouvelle dans cette ville mais si tu as besoin de moi, tu peux tout me demander.

Elle se revoit tenue sur le canapé entouré de skinhead et l’arrivée héroïque d’Aliénor et Alexa vient la reprendre dans ses bras.

Merci, vraiment merci.

Alexa d’un pur mouvement de gentillesse la pris dans ses bras, Aliénor se figea d’une absolue terreur. Chacun de ses nerfs, plus tendus que la corde d’un arc, s’étaient faits de bois. Son souffle même se coupa, son diaphragme immobile comme une pierre aiguisée qui mordait ses entrailles avait refusé de continuer fonctionner. Plus aucun de ses muscles, froid comme la glace ne le pouvaient, tétanisés comme si elle avait reçu l’un de ces chocs électriques que l’on utilise pour anesthésier les bêtes du cheptel avant de les abattre.

Les mots d’Alexa passaient, son cerveau les entendait, les analysait, les comprenait, devinaient leurs sous-entendus et leurs implications. Rien de tout cela ne parvenait à la surface de sa conscience. Dans son esprit de dominait qu’une chose : une panique absolue. Depuis ce qu’elle avait subi, Aliénor qui n’avait jamais été très tactile, et plutôt même prompte à éviter les contacts, en avait une crainte absolue. La simple proximité trop proche d’un humain lui déclenchait un instinct animal, irrationnel de terreur qui n’avait pas de fond et la laissait aussi immobile qu’un lapereau sous les crocs du prédateur. Aliénor était un être de raison, pourtant, qui savait discerner qu’Alexa n’était pas hostile, mais impossible, sa raison ne répondait plus.

Il lui fallu un effort surhumain pour sortir de cet état de choc et d’immobilité pour réagir à la proposition d’aide d’Alexa, en répondant, du fond du cœur et presque trop rapidement :

« Est-ce que tu pourrais me lâcher ? »

Un soupir de douleur après un long instant de silence ponctua sa phrase, comme si après avoir trop longtemps retenu ses larmes, elle semblait sur le point d’éclater en sanglots.

« S’il te plaît… »

Le ton de sa voix n’avait plus rien d’un reproche ni d’un ordre, pas même d’une demande : c’était une supplique.

Il lui fallu un temps encore pour se remettre et reprendre son souffle. Contrairement à ce qu’il avait paru un instant, elle ne craqua pas, mais repris péniblement ses esprits. Et ses esprits repris lui soufflèrent qu’elle avait été trop abrupte. Elle le savait bien qu’Alexa était gentille et que son geste, maladroit par des circonstances qu’elle ne pouvait deviner n’était pas mal intentionné. A cet instant, elle réalisa qu’à tout les coups avec ses réactions incompréhensibles et ses secrets biens gardés, sa brusquerie ordinaire et sa maudite incapacité à communiquer, elle avait sans doute blessé la première personne à avoir été gentille avec elle dans cette maudite ville.

« Désolée, je… C’est pas contre toi. C’est juste… »

Honteuse et en proie à des démons trop cruels et des souvenirs douloureux, elle se perdait dans ses mots, bafouillait, peinant à s’exprimer.

« C’est pas toi. C’est pas un reproche… C’est juste… Je ne supporte pas… plus… le contact physique…»

Alexa regarde Aliénor, les deux anarchistes étaient mal à l’aise, mais pour des raisons totalement opposées, la superheroine est désolée de l’avoir touchée, mais elle sourit à l’anarchiste encore toute tremblante.


Il n'y a pas de problème...Pour la prochaine fois, je te saluerais comme ça !


Alexa vient lui faire un petit check du poing au niveau de sa main, elle ne voulait pas non plus aller dans la psychanalyse de bas étage et demande à l’anarchiste de parler de son passé pour qu’elle aille mieux, une chose était sur Alexa savait maintenant que sa nouvelle alliée avait un passé sûrement sombre avec de nombreux traumatismes. Elle laisse un petit moment se passer et qu’Aliénor ce calme.


Mais toi cela fait pas longtemps que tu es avec les anarchistes en tout cas sous ce masque...Tigre ma nouvelle héroïne… Ou alors à Gotham tout court.


Alexa rigole en souriant à Aliénor et lui tant une nouvelle fois le verre de Whisky après avoir repris une petite gorgée. Les autres anarchistes installés un peu plus loin avec leur bouteille rappel Alexa, mais elle leur fait signe d’attendre. Elle voulait passer plus de temps avec Aliénor et apprendre à la connaître, mais cela n’allait pas être la chose la plus facile au monde vu ces réactions et son coté très renfermée, mais Alexa aimait les défis et elle était aussi fidèle en amitié et reconnaissante. Elle l’a sauvée, elle allait tout faire pour qu’elle se sente bien à Gotham.

Avalant sa salive avec difficulté, reprenant son souffle et un certain calme aussi lentement qu’avec difficulté, Aliénor serra les dents et se força à frôler à son tour de ses phalanges le poing d’Alexa.

A travers le masque, le regard bleu glace adressa à sa comparse une long litanie de reconnaissance qui la remerciait de ne pas poser de questions. Dans son esprit hagard et troublé, un maigre pincement de de déception se mêla portant au soulagement. A son cœur défendant, elle avait senti un instant qu’une partie d’elle aurait aimé se confier presque autant qu’elle aspirait à garder une chape de silence sur son passé. Aux mots sous-entendus de cette si gentille jeune femme elle avait surtout senti des blessures si similaires… Elles se seraient comprises.

Mais c’était impossible. Révéler ses secrets et des indices de son identité, c’était se mettre en danger. Et surtout une peur demeurait en elle, ancrée profondément. C’était la certitude, ou plutôt le sentiment, qu’elle n’avait pas les mots pour s’exprimer, qu’il n’existait pas de paroles pour la réparer, qu’il n’était ni phrases ni adjectifs pour exorciser ses tourments.



Dans des sentiments si contradictoires et ambigus insidieusement, la question simple et innocente de la jeune héroïne blonde, apporta un soulagement inespéré, lui permettant de souffler, de se plonger dans de moins pénibles réminiscences. Elle lui permettait aussi, et ce n’était pas rien, de converser avec un autre être humain, presque naturellement, presque librement, sur un sujet qui n’était ni ardu ni ni blessant. Et quoique l’habitude perdue depuis si longtemps de cette normalité et celle prise depuis tant de mois de se murer dans le plus solitaire des silences, lui aient occulté combien elle en avait besoin, il ne lui fallut que quelques mots pour ressentir avec surprise un curieux instant d’apaisement.

« Oh non ! Je suis loin d’être nouvelle dans le mouvement ! »  Elle eut un geste qui timidement s’apparenterait presque à un éclat de rire si elle n’avait pas le cœur si généralement lourd. « J’sais même pas à quand on peut situer ça… J’ai jamais supporté l’injustice et cogner quand j’en voyais… j’sais pas, j’crois que j’ai toujours fait ça… »  Elle réfléchit un instant, perdue dans des souvenirs plus ou moins joyeux d’une époque où elle passait tout son temps de tous côtés à encaisser des coups. Mais elle ne le regrettait pas. « Je pense qu’on peut considérer que j’avais 14, 15 piges quand j’ai commencé à vraiment militer sous des drapeaux noirs et rouges. » Elle avait sous le masque un sourire de fierté et de tendresse, même si déjà son regard se voilait de nostalgie au souvenir d’un temps auquel elle avait été arrachée si brutalement. « J’ai fait ma première fête de l’Huma, j’avais 16 ans. » Pour la première fois depuis longtemps il y eut un sincère et brillant éclat d’enthousiasme dans sa voix.

Le verre d’alcool que lui tendit son amie anarchiste fit de nouveau se voiler d’anxiété cet instant de légèreté. Une nouvelle fois, d’un geste de dénégation elle le refusa. Ce n’était pas que boire avec un masque risquait d’être compliqué. C’était certes le cas, mais ce n’était pas cela. L’irlandaise voyait dans l’alcool le miroir de plus anciens traumas, et d’un vieux et terrible démon, qu’elle avait bien connu, au moins par procuration. Mais elle savait surtout son état suffisamment fragile pour qu’il soit simple, bien trop simple de sombrer, dans une spirale infernale dont elle ne parviendrait jamais à s’extirper.

Surmontant un peu artificiellement, ce malaise, elle tenta de reprendre une voix joyeuse pour reprendre comme si de rien n’était le fil de leur conversation, d’un maladroit : « Et toi ? Cela fait longtemps que tu es là ? »

Alexa écoute les histoires d’Aliénor en buvant le verre qu’elle a refusé, en ces temps de faible approvisionnement, ça ne la dérangeait pas du tout de ne pas partager son verre avec l’anarchiste masquée.


Ah t’es une ancienne, une vrai de vrai. Cela fait moins longtemps que je suis dans ce mouvement, mais avec ce que j’ai vu et fait, t’as du en voir. Ce n'est pas facile tous les jours… Moi cela doit faire peut-être une année grand maximum je pense.


Elle lui sourit et ferme et lève un peu son poing.


Je suis rentré la dedans surtout parce que j’aime frapper des cons, comme ces skinheads ou des macho, c’est un anarchiste qui est venu se réfugier dans mon ancienne boutique, il était suivi par des skins et je les ai défoncés. On a sympathisé, j’ai rencontrer Anarky et comme c’est proche de mes idées, je suis entré dans ce mouvement surtout en combattant les skinheads.


Elle regarde derrière elle et fait comme si elle ne voulait que personne l’entende.


En vrai moi l’anarchisme, je n'ai pas compris grand-chose à part plus de liberté et c’est déjà bien, on m’a donner un livre d’un bakounin et franchement j’ai abandonné assez rapidement. Mais je veux bien apprendre plus, avant j’avais Loonie et Anarky qui m’expliquaient pourquoi notre lutte, là on a plus vraiment de leader.


Elle continue de sourire à Tigre tout en essayant de lire le plus possible ces émotions, de cette fille qui avait tout l’air d’être à fleur de peau.


Mais tu vas m’apprendre ? Après avoir été ma super-heroine qui me sauve des skinheads, tu pourras devenir ma professeur.


Elle regarde le masque d’Aliénor


Pas seulement sur l’anarchisme, mais aussi sur comment être une bonne super-héroïne, parce que je te le dis, je regrette tout les jours d’avoir commencé cette activité sans me masquer...S'ils le font tous les batman et autres pourquoi je l’ai pas fait.


Alexa se frappe le front en rigolant pour montrer son mécontentement face à cette erreur de débutante.

Les yeux d’Aliénor un instant brillèrent de fierté. Sous le masque, un mince sourire, du même ordre, orna ses lèvres. L’anarchiste appréciait d’être ainsi qualifiée de "vraie de vraie", plus encore, bien plus encore que d’héroïne.

Qu’Alexa contrairement à elle ne soit pas tout à fait une ancienne n’avait pourtant à ces yeux rien de grave ou de dévalorisant et c’est avec un petit sifflement appréciatif qu’amicalement elle commenta :
« Cogner des cons, c’est toujours une valeur sûre ! »

Un petit clin d’œil décora ces mots, emprunts d’un brin de malice comme un trait d’esprit, sarcasme et provocation, non à l’égard d’Alexa mais du monde, et légèrement teinté d’autodérision. La jeune femme qui présentait ici la violence comme une valeur sûre sur le ton de la plaisanterie était pourtant au premier degré bien loin d’en faire l’apologie. Même lorsque des mots ou des attitudes la mettaient hors d’elle, c’était sur le même ton qu’elle répondait, pas en sortant couteaux et poings… du moins, elle essayait. La devise d’Aliénor quant à la violence était simple « Jamais la première, mais la seconde, tout de suite. », ce qui incluait évidemment, et sans doute même en premier lieu, la violence portée à autrui.

Il ne s’agissait pas là seulement d’un précepte fièrement arboré aux côté d’autres valeurs ou comme un auto-gage de vertu. C’était un véritable combat, d’autant plus violent et cruel qu’il se déroulait en elle. La violence avait toujours été l’un de ces démons.

Elle avait commencé dans la vie par un monde où la violence était pour ainsi dire le quotidien et le seul rapport humain. Lorsqu’elle avait grandi, ce n’était plus que de son père, mais des autres enfants aussi que pleuvaient les insultes, les mauvaises blagues et les coups. Elle rendait alors ceux-ci, teigneuse et violente comme une furie. Les adultes le lui reprochaient, voyant en elle la reproduction des tares de son père, une cause perdue à l’aube même de sa vie, et elle était la seule qui pour les bagarres soient punie. Plus insidieuse, pas moins oppressante, c’était une violence aussi. Elle n’avait qu’à trouver une autre manière de se défendre, disait-on. Laquelle ? Quel choix avait-elle d’autre quand elle ne connaissait rien d’autre, quand toutes les autres méthodes qu’elle avaient essayé d’inventer s’avéraient vouées à échouer, ou tellement moins efficaces ? Rendre coup pour coup ou s’écraser, se laisser martyriser, mourir en somme ou tout du moins si ce n’était pas le fait de la réalité, s’était ainsi que gamine elle l’avait entendu et compris. La voix universelle de l’univers avait été que sa mort était la préférence généralisée. Elle aurait pu abandonner et se laisser crever. Elle avait choisi l’étincelle rebelle en elle, elle s’était révoltée. Mais elle n’avait pas su au début comment se défendre ni se révolter sans cogner, détruire et frapper. Elle avait grandi, elle avait appris, elle s’était trouvée par bonheur entourée de gens qui avaient su immensément l’aider, mais le monstre était là, caché en elle, prêt à ressortir. Et elle n’était pas aidée. La colère brûlante contre l’injustice sous toute ses forme, la haine de ceux qui la commettaient ou s’en moquait, de ce monde et ce système injuste et tortionnaire, la souffrance, les traumas… et des troubles psychologiques qui l’étouffaient, la noyaient, la prenaient à la gorge, parfois, avec la fureur d’un ouragan. Face à la folie intérieure qui griffait sa peau, faisait bouillir son sang et lui donnait envie autant de mordre que de pleurer, frapper semblait la réponse naturelle et évidente, frapper n’importe quoi, n’importe qui n’importe quelle chose, cruellement et à l’aveugle semblait la méthode la plus proche, la plus facile, la plus sûre. Celle aussi qui était inacceptable, qu’elle refusait par principe d’employer.

Elle avait résisté autant qu’elle avait pu, ou du moins essayé. Arrive si vite l’heure de la nuit ou du jour où l’on est lâche, et il est si rapide de l’être. Etait surtout pour elle si vite arrivé, l’heure où l’horreur et la cruauté lui avaient tout pris, tout brisé, jusqu’au contrôle d’elle-même et la capacité de penser. Seule la haine et la colère étaient restées, réveillant ce démon qu’elle avait réussi tant bien que mal à contrôler et museler pendant des années.

Elle ne connaissait qu’à peine Alexa, et n’était pas, et surtout plus du tout, ni tentée ni capable d’aveuglement avoir confiance en des qualités, des valeurs ou des vertus chez des gens qui lui étaient inconnus. Pourtant, elle ne doutait pas, ou si peu que la blonde héroïne ne soient pas de ces brutes qui tapent à tout va, et pas non plus de ceux qui veulent faire entendre leurs idées par des attentats.  


Si le rappel de la disparition angoissante de leur symbole, qui depuis quelques temps bousculait leur rang toute les deux les assombrirent, l’enthousiasme en la tigrasse dès qu’il s’agit de parler de ses idées renaquit. Presque emphatique, en tout cas sans le moindre doute passionnée, elle se lança, passionnée :

« Mikhaïl Bakounine ! » s’exclama-t-elle avec flamme comme si elle retrouvait un vieil ami « Lequel ? Catéchisme révolutionnaire ? Étatisme et anarchie ? Dieu et l'État ? De la guerre à la Commune ? Théorie Générale de la Révolution ? Evidemment, si l’on te fait commencer en te jetant là-dedans… C’est pas le plus simple, même si c’est passionnant ! En tout ca, assurément l’un des piliers fondateurs de la philosophie du mouvement. Avec Proudhon, bien sûr, Élisée Reclus, Kropotkine… » Elle sembla un instant prête à faire toute la liste. « En tout cas, je comprends pourquoi Anarky t’as plutôt recommandé Bakounine que Proudhon. En somme tu es anarcha-féministe, non ? Sur le patriarcat, Bakounine est infiniment plus intéressant que Proudhon ! Beaucoup plus féministe surtout ! Alors, oui, on pourrait lui reprocher d’avoir un peu minimisé l’ampleur du problème, mais lui il écrit noir sur blanc que si l’anarchisme est le refus de toutes les oppressions, c’est aussi celui du refus de l’oppression machiste, et que le but de liberté il l’est pour tous les camarades, hommes comme femmes. Alors que Proudhon, lui, même si par ailleurs il y a plein d’autres sujets sur lesquels il vaut la peine d’être lu, sur les femmes, c’est terrifiant ce qu’il est réac !»

Tout à coup, un peu mal à l’aise, un peu gênée de s’être ainsi emportée dans une si longue tirade, elle s’interrompit avant de, presque devenue timide, bredouiller :

« En tout cas, si tu as des questions, n’hésite pas à les poser… Si jamais je peux aider…»

Après un petit haussement d’épaules, un petit raclement de gorge, un petit silence, qui traduisaient un malaise qui venait moins d’une réelle timidité, finalement peu dans son caractère que d’un étonnement déboussolé de s’être entendu ainsi sortir de son humeur sombre et renfermée, elle ajouta, comme une confidence :

« Pour ce qui est d’être une super-héroïne… C’est gentil, mais je crois que tu as plus à m’apprendre que l’inverse sur tout ça… Je ne suis pas sûre que ce terme s’applique vraiment à moi… Je suis une militante, une insurgée en quelque sorte, peut-être une révolutionnaire. Une super-héroïne, je ne sais pas. A vrai dire, je ne suis même pas sûre de savoir ce que c’est. Ce concept est pratiquement nouveau pour moi. J’en avais entendu parler, mais juste vaguement, comme ça… Dans mon pays ça n’existe pas. »

Alexa souriait, elle avait réussi à dérider Aliénor, pour cela, il avait fallu parler de l’anarchie, elle avait fait plaisir à l’anarchiste masqué en la décrivant comme une vrai de vrai, mais elle ne s’attendait pas à ce que cette phrase soit aussi vraie. L’anarchiste au masque de Tigre rentre dans un vrai tunnel où elle cite des livres qu’elle n’a pas lus et donne d’autres noms qu’elle ne connaît pas non plus.


Je crois que c’est Étatisme et anarchie…


Elle s’était arrêtée à quelques pages, elle en avait pas beaucoup de souvenir, elle avait toujours le livre chez elle offert par Loonie, qui était la personne qui l’avait fait entrer dans le milieu anarchiste.


Des questions qui sont toutes ces personnes que tu as citées ?


Alexa rigole et elle écoute les dernières paroles, les deux protagonistes étaient totalement en décalage, une vraie anarchiste qui connaissait son sujet et Alexa une superheroine qui était entrer chez les anarchistes par hasard et qui avait une certaine allégeance à Anarky, mais il n’était plus là.


En vrai Tigre, j’ai une question, une vraie question. On a été utile pour les gens pendant la prise de contrôle de la ville par le gant noir. Mais maintenant comment faire, comment être utile pour les gens, les habitants de Gotham et est-ce qu'une révolution est vraiment nécessaire ? Comment la faire comment faire changer tout ce système ?