Ah Shit... Here We Go Again...

Ces deux derniers jours avaient été un enfer, cette impuissance face aux récents événements était destructrice… Je n’avais pas dormi depuis plus de quarante-huit heures, car le simple fait de fermer les yeux me donnait la nausée… Je ne voyais plus que la tête décapitée de Jay rouler sur le sol, comment avait-on pu laisser faire ça ? A qui la faute ? Franchement, je n’en avais cure, chercher un responsable à sa mort ne nous le rendrait pas… Même accuser Damian de ce mal ne me satisfaisait pas. On avait donc perdu un être cher pour en retrouver un autre, Bruce était bel et bien vivant… Faible consolation s’il en est ; je m’étais abstenu de mettre mon grain de sel en clamant à qui voulait l’entendre : je l’ai toujours su. Le roublard qu’était mon mentor n’aurait pas pu décéder d’un simple crash d’avion. Bien sûr, j’étais content de l’avoir revu, comment pouvait-il en être autrement ? J’aurais cependant préféré que la réunion de famille se déroule d’une toute autre manière… Comment il appelait ça en alchimie ? Un échange équivalent ? J’emmerde cette pseudo-science, j’emmerde cette ville… Oui, même Timothy Jackson Drake a le droit de jurer de temps à autre, surtout dans des temps aussi sombre…

Je n’avais pas quitté le manoir depuis, sans doute avais-je besoin de tout le réconfort que pouvait me procurer ma famille. Dick avait bien entendu essayé d’apaiser ma peine, sans grand succès, tel le modèle de grand frère qu’il était… Je voyais bien qu’il avait été tout aussi affecté par la perte de Jason. Pour ma part, je n’avais presque pas pipé mot depuis, simplement quelques banalités et cordialités aux visiteurs quand je prenais le temps de sortir de ma chambre… Ni nostalgie, ni joie en retrouvant mes quartiers d’antan, je n’avais absolument pas la tête à ça. Dans cette quasi-solitude j’avais essayé de distraire mon esprit par des exercices mentaux dont j’avais le secret ; mes méninges ne me laissèrent aucun répit et me ramenaient toujours l’image de Jay à mon esprit. J’avais alors opté pour une solution plus physique. La salle de musculation du manoir fut l’endroit parfait pour faire le vide entre soulever de la fonte, faire des pompes et tractions, mais surtout, pilonner rageusement le sac de frappe en imaginant l’assassin de Jason.

Cette séance de sport sérotinale terminée, je pris le temps de prendre une longue douche tiède, tomber malade par une surchauffe ou un choc thermique n’était pas à l’ordre du jour… Je descendais maintenant les escaliers pour tomber sur une nouvelle visiteuse qui conversait avec Dick dans le salon ; Donna Troy nous faisait ce soir le plaisir de sa présence. Je daignais lui adresser la parole par un bonsoir quelque peu apostrophé, mon humeur n’était toujours pas au beau fixe. Qu’elle soit là ou non n’avait aucune espèce d’importance à mes yeux, après tout, elle était beaucoup plus proche de mon ainé. L’Amazone se mit alors en tête de préparer le thé… Le thé… Moi, le caféinomane invétéré allait boire du thé… Du thé !! Je ne bronchais même pas pour lui dire que je préférerais un kawa bien serré… C’est pour dire le je-m’en-foutisme qui m’habitait depuis deux jours. En attendant que le jus britannique nous soit servi, je m’étais installé dans un des nombreux fauteuils du séjour. Je laissais volontairement planer ce silence froid et bizarre qui régnait maintenant dans la pièce.

Quelques minutes plus tard le calme ambiant fut interrompu par la voix de Donna qui hélait Dick de la rejoindre rapidement… Je partageais un regard rapide avec mon frère qui se demandait ce qu’il se passait. D’une simple moue et d’un haussement d’épaule, je lui signifiais que j’en avais moi-même aucune idée, peut-être s’était-elle brûlée avec la théière ? Curieux, je lui emboitais le pas pour aller voir ce qu’il se tramait. Le temps s’arrêtait alors net autour de moi, l’incompréhension mêlée à la l’incrédulité de la scène, je restais bouche bée avant de réaliser. Là, porté tel un bambin lové conte sa mère, la tenue d’enterrement couverte de déchirures et de terre encore humide, se trouvait cet enfoiré de Jason Todd ! Après la réalisation, je ne pus m’empêcher de rire nerveusement avant de me précipiter vers lui.

« Bordel… Jay… J’y crois pas… T’es… T’es vraiment là ?... Attends Donna, je vais te filer un coup de main, voilà J’le tiens… »

Accompagné de ces paroles, j'agrippais ses jambes pour soulager l'Amazone qui aurait très bien pu s'en sortir toute seule, la vie de Gentleman est difficile que voulez-vous... il semblait extenué, quoi de plus naturel lorsqu’on revient d’entre les morts pour se déterrer soi-même de son cercueil… Il l’avait encore fait le bougre ! Je commençais vraiment à croire que Jay était immortel, la seule question que je me posais était la suivante : comment avait-il fait ? Personne ne l'avait pourtant plongé dans le puit de Lazare. A force de rester immobile quelques instants, je me souvenais maintenant qu’il pesait véritablement son poids ; poids qui ravivait les délicieuses brûlures musculaires de ma récente séance de sport. Il faudrait faire avec. Je bandais donc biceps, triceps et ceinture abdominale avant de me mouvoir en cadence avec Donna, je n'avais pas l'intention de le lâcher.

« Hey vieux, faudra te calmer sur les Bellybuster à l’avenir, tu pèses une tonne ! Dick ? On le pose où ? »

Ah Shit... Here We Go Again...

Si d’habitude Tim se renfermait dans sa bulle, j’étais stupéfait de le voir parmi nous, au manoir. A la mort de Jason qui m’avait broyé le coeur, les conséquences désastreuses que celle-ci pouvait provoquer me revenaient sans cesse en mémoire et dans mes cauchemars. Mon cadet, Tim, était un homme sensible. Cela ne signifiait pas qu’il était quelqu’un de fragile, non, il avait seulement cette sensibilité qui le poussait à s’éloigner pour mieux se protéger. Alors sa présence, en sécurité dans la propriété Wayne et à mes côtés, travaillait doucement à panser la tristesse infinie que je ressentais. Je respectais son mutisme et n’échangeais de mots qu’avec Donna, qui avait eu la gentillesse de nous tenir compagnie. Elle était une âme pure comme il n’en existait plus, la remercier pour tout ce qu’elle avait déjà fait pour nous et les jeunes titans allaient me prendre un temps considérable. Assis sur le canapé du salon, j’avais accepté le thé avec plaisir. Je retenais un faible sourire en pensant à Tim et ses préférences pour la caféine, mais je perdais rapidement mon sourire lorsque je vis que mon cadet réagissait à peine. Il était comme un somnambule que rien ne réveillerait, pas même un baiser de Stéphanie.

En attendant le retour de l’Amazone, je m’étais levé pour me rapprocher de la cheminée où aucun feu ne crépitait. J’aurai dû demander à Alfred de s’en occuper, je n’y avais pas penser. Ma tête était pleine de choses à faire, ma vie était remplie, trop remplie. Je ne savais plus par quoi commencer et la disparition brutale de mon frère m’avait terrassé. Pas assez pour que je m’effondre, car je m’interdisais cet état, mais assez pour perturber le cours normal de mes activités, mes habitudes, mes décisions, mes actes. Sur cette cheminée, des photos trônaient en guise de décoration. Sans retenue, je fixais celle où nous étions tous les quatre autour de Bruce. Mes yeux s’attardaient sur le visage de Jay, que je ne reverrais plus jamais. Un visage aux traits les plus souvent tirés car perpétuellement en colère envers le monde entier.

“Sacré p'tit con…” murmurais-je pour moi-même, juste avant que la voix de l’Amazone ne me tire de mes songes. Vivement, je me retournais, croisant le regard de Tim qui se demandait peut-être aussi quelle pouvait être l’urgence. Ensemble, nous rejoignions Donna. Je ne comprenais pas encore pourquoi mon cœur battait à tout rompre, mais dans la voix de mon alliée j’avais décelé ce quelque chose qui m’avait fait rejaillir une étincelle. Je n’avais pas compris avant de me retrouver face à cette vision, celle d’un Jason bien vivant, portant encore les vêtements de sa veillée funèbre. “Jason…” Je m’approchais de lui, la main tendue vers son visage couvert de terre. Quelques larmes menaçaient vivement de couler mais restaient figées dans mes orbites. Un large sourire illumina mes traits, je ne voulais pas savoir comment, pourquoi, j’étais juste reconnaissant qu’il soit là. “Au salon, posez-le sur le canapé !” Je leur ouvrais la marche, faisant la place nécessaire. Je pris place à ses côtés, et tout à coup il m'apparaissait comme le jeune garçon perdu que j’avais connu auparavant, un enfant dont il fallait prendre soin, qu’il fallait protéger. Je n’avais pas réussi à le protéger, ce soir-là. La Cour des Hiboux n’avait pas gagné la guerre, mais m’avait pris bien plus que ce que je ne leur avais arraché. Ma voix était tremblante, forte de la vague d’émotions qui me submergeait. “Tim, va chercher un verre d’eau, il doit avoir soif !” Alors que Tim s'apprêtait à s’exécuter, je reformulais ma demande “Non attends, plutôt une carafe ! Ouais apporte une carafe !” Il fallait tout lui balancer sur le visage, ne serait-ce que pour le réveiller de cette léthargie et le laver de toute la terre lui voilant la vision. Je n'arrivais pas à détacher mes yeux de sa silhouette, qui bougeait au gré de ses respirations. Il était vivant. "Donna, comment c'est possible ? Personne n'a eu accès à sa tombe, c'est..." J'allais dire que c'était impossible. Mais au fond, était-ce réellement important de savoir comment il s'était pris pour revenir d'entre les morts ? Pour l'instant, ce qui me paraissait davantage déterminant, c'était de savoir dans quel état il était revenu. La première fois ne lui avait pas été favorable, qu'en était-il aujourd'hui ?